vendredi 30 novembre 2012

Formes et conditions d'un espace euro-méditerranéen. Entretien avec Franck Debié

 
 Hypostases de la Méditerranée
Formes et conditions d'un espace euro-méditerranéen


À paraître . IPEMED (*)


I- Légitimité de l’espace méditerranéen

Q : Peut-on parler d’espace méditerranéen ou bien est-ce une construction théorique?

La culture méditerranéenne d'aujourd'hui s'inscrit dans le même espace que la civilisation méditerranéenne pré-contemporaine.
Cet espace s’est un peu rétréci en raison de l’aridité venue du Sahara au Sud et du désert de Syrie à l’Est. C’est un espace marqué par un même climat, une même géomorphologie, une même civilisation agraire, des flux commerciaux commun, le même phénomène d’urbanisation des littoraux. Cette unité de l’espace méditerranéen, du point de vue du géographe, est indiscutable. L'unité de cet espace a longtemps créée la possibilité d'une civilisation matérielle commune. C’est la thèse de Fernand Braudel.
Si l’on évoque les échanges contemporains, l'espace méditerranéen s’est développé depuis le dix-neuvième siècle en symbiose avec l'essor industriel et tertiaire de l'Europe atlantique, rhénane et centrale. Les entreprises européennes sont depuis longtemps familières des marchés du sud de la Méditerranée. La modernisation de la rive sud s'est faite avec des capitaux et des techniques du Nord depuis le début. C'est ce que montre, entre autres, le travail de Norman Pounds.
Aujourd'hui, la civilisation matérielle commune à l'espace méditerranéen s’exprime, entre autres, à travers les médias : les mêmes journaux, les mêmes émissions TV, les mêmes réseaux internet sont connus sur les deux rives. Il y a, en dépit du morcellement linguistique de la Méditerranée, un espace de communication largement partagé, même si les flux sont asymétriques.

Mais il serait naïf de penser que ces facteurs de proximité suffisent à créer une unité économique et sociale entre les deux rives.
Les réalités sociales, économiques et politiques ne sont pas les mêmes. Au sud, les économies sont restées très cloisonnées et l’Etat a joué un rôle déterminant dans la structuration des flux et des rentes économiques. Au Nord, la dénationalisation, la mise en place d’un grand marché commun, l’accumulation de capitaux, tirée en avant par le secteur privé, composent un ensemble dont les caractéristiques sont différentes.
Israël, dans ce contexte, ne constitue pas une exception. Fermé à ses voisins, il regarde, comme eux, vers l’Europe et les Etats-Unis. Comme eux, il a construit une articulation spécifique entre le militaire, le civil et le politique. La Turquie est un peu plus intégrée dans le marché unique mais conserve des caractéristiques similaires : un Etat profond et puissant dans la vie économique et sociale, un rôle particulier des militaires...

Beaucoup d'évolutions concourent, depuis vingt ans, au rapprochement entre les deux rives. Il y a d'abord partage de la même culture technologique, scientifique et entrepreneuriale, aujourd'hui en langue anglaise et dans le contexte de la globalisation.
Il y a ensuite le rapprochement des économies des deux rives. Il résulte de la fin du socialisme en Méditerranée.
Il y a aussi le nombre important de familles "à cheval" sur les deux rives, des travailleurs turcs en Allemagne aux retraités français au Maroc.

Ces facteurs de rapprochement légitiment les efforts pour essayer de construire politiquement un espace d'échange et de régulation commun. Cet espace est un potentiel plus qu'une réalité. Un potentiel encore très insuffisamment exploité. C'est la leçon des travaux de Pierre Beckouche. Il montre à quel point les Etats-Unis et la Chine investissent beaucoup plus que les Européens dans leur voisinage méridional, autour de la Mer des Caraïbes ou de la Mer de Chine du Sud. C'est pourquoi l'espace méditerranéen est aujourd'hui un projet politique plus qu'une réalité géographique. Il est à bâtir. Cette intuition a servi d'étincelle au projet de l'UPM.

Q : L’idée d’euro méditerranée a-t-elle un sens pour vous ? Si oui, lequel ?

La prudence s’impose. Les spécificités culturelles existent et cette diversité fait partie intégrante de l’espace méditerranéen. Jamais il n’a été question d’aplanir cette diversité pour construire l’Union pour la Méditerranée.
Les Européens de la rive nord ont eux-mêmes l'occasion de mesurer les contrastes qui existent chez eux entre leur Nord et leur Sud : le Péloponnèse n'est pas l'Attique, le Midi n'est pas l'Ile de France, le Mezzogiorno n'est pas la Lombardie… Cette expérience de la différence, d'une différence impossible à effacer, est inscrite dans le programme génétique de l’Europe. La diversité est partout en Europe, entre les pays, au sein des régions, entre les côtes et l’intérieur, entre les zones denses et les zones vides... Ces clivages régionaux, les constructions nationales les ont parfois estompés, mais les géographes les identifient très bien.
Les pays de la rive Sud connaissent la même hétérogénéité : littoraux et hauts pays, plaines arabisées et montagnes refuges, mondes pleins et déserts...
Etre Européen, être Euro-Méditerranéen c'est peut être avoir la conscience du caractère irréductible de cette diversité. C'est renoncer par principe au mythe de l'identité entre un Etat et une culture unique et exclusive. C'est assumer le fait que seule la volonté de vivre ensemble peut construire les nations. C'est se rappeler que toutes les tentatives d'homogénéisation culturelle, linguistique, religieuse - et il y en a eu partout - ont tourné à l'appauvrissement et au conflit. C'est aussi, sans doute, aimer cette diversité, l'apprécier, être capable de s'en nourrir. C'est assumer, pour reprendre l'image de Michel Serre, que sous l'habit d'Arlequin, la peau d'Arlequin elle-même est un patchwork.

L'idée euro-méditerranéenne s'inscrit comme l'expression d'une civilisation matérielle encore largement commune.
La culture matérielle commune se définit selon Braudel par l’usage des mêmes objets. C’est elle qui, par ces mêmes artefacts, rapproche et engendre une civilisation commune. Elle fonde une identité euro-méditerranéenne au sens large, de la Pologne aux Pays Baltes  jusqu’à l’Asie Centrale qui partagent la même culture matérielle avec l’Europe de l’Ouest.
La culture matérielle, souvent occultée, est partie prenante de la culture.
Avec les mêmes instruments, par exemple, la cuisine finit spontanément par se ressembler. Autre exemple : le paysage urbanisé. Aux Etats-Unis, la volumétrie, les proportions, l’organisation de l’espace sont autres. La civilisation matérielle euro-méditerranéenne s'exprime dans un urbanisme spécifique, avec des places, des espaces verts, des trottoirs, un éclairage public, bien loin de la grille nord-américaine ou de la ville-rue qu'on rencontre ailleurs.
Le risque pour l'idée euro-méditerranéenne n'est pas son manque de substance, mais son succès, un succès qui risque d'en diluer l'originalité. Les Etats-Unis ont fait un grand pas vers le modèle euro-méditerranéen de société en abandonnant la ségrégation raciale légale dans les années soixante. La Russie et l'Europe de l'Est ont abandonné le communisme. La rive Sud est en train d'en finir avec les dernières traces du socialisme arabe. La Turquie et l'Inde ont renoncé au développement autocentré dirigé par l'Etat. Cela veut dire qu'aux mêmes réalités matérielles - celle d'une société largement urbaine, industrielle, technologique - répondent de plus en plus les mêmes structures de production, de savoir et de pouvoir. Parler de globalisation est partiellement inexact. Ce qui se passe, c'est la diffusion d'un certain modèle qui est historiquement celui de l'Europe de l'Ouest


Q : Quelles complémentarités et quelles disparités percevez vous entre les deux rives ?

Des écarts démographiques importants existent entre un monde encore jeune, d’un côté, et un monde vieillissant, de l’autre.
Si le vieillissement de la population se dessine pour le sud de la Méditerranée, ce n’est pas aujourd’hui le cas. L’Europe n’a pas réussi à faire de cette disparité un atout, une complémentarité, sans doute en raison d’une certaine méfiance à l’égard de ceux qui ne sont pas qualifiés.
Cette grande jeunesse du Sud, l’Union Européenne n’en profite pas. Il n'y a pas, il n'y a plus, de vases communicants. La jeunesse de la rive sud n’a pas induit de dynamique démographique au nord. On aurait pu penser le contraire. Les jeunes du sud de la Méditerranée auraient pu venir regonfler le bas de la pyramide des âges du nord. Les Sud ont souvent joué ce rôle. Ici ce n'est pas le cas.

D’un point de vue économique, des marchés arrivés à saturation côtoient des économies en rattrapage. Cette complémentarité est assez bien utilisée par les entreprises du Nord en partenariat avec les entreprises du Sud. Les premières profitent des marges de manœuvre qu’elles peuvent développer au sud grâce au potentiel de consommation qui est moins entamé que dans le nord.
La distribution du cinéma illustre bien cette situation : les grands complexes multisalles construits à partir des années 1980 en Europe ont atteint leur potentiel. On n'en construit plus beaucoup. En revanche, le même "produit" se développe au Sud de la Méditerranée. La différence dans le comportement des marchés permet ainsi de rajeunir des produits en fin de cycle de vie au Nord en les proposant au Sud où ils restent attractifs. C’est une vraie et puissante complémentarité matérielle.

Sur le plan politique, les régimes sont tous différents les uns des autres dans leur organisation en dépit des parentés constitutionnelles. La carte politique de l'Euro-Méditerranée reste très bigarrée. Il faut se méfier de considérer les démocraties européennes comme un tout homogène. Jacques Levy nous l'a appris, il faut "soulever la couette". L'organisation territoriale du pouvoir n'est pas identique. La géographie du contrôle n'est pas la même. La géographie de la légitimité n'est pas la même.
Dans le Sud, cependant, les systèmes personnels ont, en général, joué un rôle important dans la structuration du pouvoir, alors, que dans le Nord le degré d’institutionnalisation est plus élevé.

Q : Avec les révolutions arabes, ceci pourrait-il changer, et changer le rapport à l’Etat qui au Nord et au Sud n’est pas le même ?

Qu'est-ce qui peut vraiment changer les choses ?

Limiter le clientélisme

Il n'y a pas de vraie révolution sans un changement économique, sans un déplacement (sinon une abolition) des rentes de situation, sans un autre partage des richesses. De quoi rêvaient les révolutionnaires du printemps arabe ? - d'un Etat qui ne soit pas au service exclusif de certaines familles, accaparé par le clientélisme. Si une partie des clientèles ont été démantelées en Tunisie, ailleurs elles résistent mieux. Ainsi, les familles militaires forment une des réalités du pouvoir en Egypte et en Algérie. La Jordanie et le Maroc semblent, pour l'instant, vivre une révolution oligarchique où les familles se redistribuent surtout entre elles la rente politique. 
La question est bien de savoir si ces marchés peuvent aujourd'hui s'affranchir du clientéliste, si de vraies économies de marché peuvent naître. La famille et les réseaux sociaux ont été des facteurs de résilience nécessaires pendant la période de la dictature et du socialisme, mais ils sont désormais des freins à la transformation. « Défamiliariser » l’économie est une réponse à l'aspiration égalitaire que nourrit la jeunesse du Sud. Elle sent que si l'économie reste prisonnière des logiques de cooptation, l’avenir lui restera fermé. Et le principe d’égalité restera formel.
Pour le dire autrement, l’accès au marché de l’emploi, au crédit, au marché des biens, hors du principe d’affiliation et d’allégeance, - soit l’ouverture du social et de l’économie - représente la clé pour sortir de l’impasse.
C’est de là qu’est née, en partie, la dynamique révolutionnaire.

Faciliter la sous-traitance industrielle

Autre question : peut-on inverser le schéma d’importation du travail par le Nord et produire au Sud ?
Le rapport de Christian Stoffaes sur le modèle industriel allemand ouvre des perspectives : si l’Allemagne va mieux que les autres pays européens, c’est qu’elle a su exporter à la fois du travail et des biens en dehors de la zone euro. L'Allemagne sous-traite une bonne partie de la production primaire en dehors de la zone euro. Elle incorpore ensuite ces intrants dans la production finale, réalisée en Allemagne. Au final, le coût des produits "allemands" est abaissé par la sous-traitance et ils peuvent rester compétitifs par rapport aux produits concurrents issus des industries asiatiques.
Or, les pays du sud de la Méditerranée, à l’exception de la Turquie et, dans une moindre mesure, du Maroc, n’ont pas bénéficié de l'organisation de la sous-traitance industrielle des entreprises de la zone euro. Ces flux de sous-traitance ont profité aux pays du centre de l'Europe et ont été à la base du succès économique des anciennes Républiques sœurs de Tchéquie et de Slovaquie, par exemple. Les PME germaniques ont mis en place dans ces pays, mais aussi en Pologne, dans le monde balte, des réseaux de sous-production de grande qualité.
Cette absence de sous-traitance dans les pays du sud de la Méditerranée n’est pas seulement le résultat d’un problème de logistique, mais de réglementation. En effet, ces investissements étrangers officiellement désirés par les pays du Sud ne sont pas vraiment accompagnés. En Algérie, la volonté politique est absente. Dans l’Est de la Méditerranée, le Liban a un potentiel très réduit ; la Syrie s’est fermée économiquement. Israël a joué le jeu dans les domaines de haute précision et de santé, ce qui renforce les liens avec l’Allemagne. Au Maghreb, les Marocains et les Tunisiens ont bénéficié d'un peu de sous-traitance industrielle, notamment dans le textile. Elle est restée limitée dans la mesure où la politique de ces pays a été de privilégier les services. De fait, la Turquie (et, marginalement Chypre) est le seul pays à avoir vraiment bénéficié de ce mouvement d’inversion des flux de capitaux et de travail - les capitaux et le travail allant vers le Sud. Si la législation du Sud de la Méditerranée le permet, la France et l’Italie peuvent songer à stopper la vaine course à l’optimisation de leurs coûts en interne et tenter de se rapprocher du modèle germanique, en délocalisant davantage les premières étapes de la production dans les pays de la rive Sud. Chacun mesure que ce mouvement dépend d'abord des entrepreneurs, de leur potentiel d'investissement, de leur attitude face aux risques politiques perçus ou fantasmés du Sud. Les capacités des entreprises européennes à se redéployer sont aujourd'hui plus réduites du fait du crédit-crunch en Europe et du changement de génération des dirigeants d’entreprises. Réorganiser complètement une sous-traitance internationale suppose du temps, des moyens, un projet à long terme. Ces conditions ne sont pas entièrement remplies. Même si le cadre réglementaire évolue très vite au Sud, même si l'Union européenne déverrouille certaines protections de son marché, il est difficile d'imaginer un boom soudain de la sous-traitance industrielle.

Libérer le potentiel des diasporas

Une partie des sociétés du Nord entretient une capillarité très grande avec les sociétés du Sud. Cette proximité quasi-familiale avec le sud de la Méditerranée constitue une force. La densité diasporique est un atout pour les deux rives. Toute diaspora permet d’optimiser les mobilités. Les filières familiales fonctionnent mieux que n'importe quelle autre structure, au Nord comme au Sud, pour arbitrer entre les opportunités économiques, pour sélectionner les migrants et les projets, pour allouer au mieux les capitaux disponibles, mais à condition que la circulation des hommes et des capitaux soit respectée.

II- Bilan de l’Euromed

Q : Quel bilan tirez-vous du processus institutionnel de l’Union pour la Méditerranée ?

Il est difficile de savoir comment mesurer la valeur ajoutée de l’UPM / Processus de Barcelone dans ce qui est une coopération stratifiée, ou, si l'on veut être optimiste, une fusée à plusieurs étages.
Au Parlement Européen, comme à la Commission européenne, le sentiment est qu’il existe depuis longtemps un socle antérieur, très solide, formé par les accords d’association avec les pays de la rive sud. Ce sont principalement des accords commerciaux dont on dit qu’ils marchent assez bien. Certains sont assez fructueux comme pour le Maroc ; avec l’Égypte, en dépit du régime Moubarak, les premiers progrès sont là. Au Proche-Orient, l’accord d’association avec Israël et l’accord avec les Territoires Palestiniens marchent assez bien. Et l’Union douanière avec la Turquie est une grande réussite. Le suivi de ces accords commerciaux constitue en fait les ¾ de l’activité réelle des institutions européennes au service de la cause méditerranéenne.
Une deuxième strate relève des accords euro-méditerranéens qui récapitulent les premiers tout en les politisant avec une dimension de conditionnalité en matière de Droit de l’Homme, de soutien budgétaire, d’assistance technique, de diffusion de la norme européenne. Le bilan est, là, beaucoup plus mitigé. Nombreux sont ceux qui ont eu l’impression d’une conditionnalité mal réglée. Les conditionnalités techniques et politiques, les demandes trop importantes, ont engendré une asymétrie dans les négociations, source de procédures interminables. Si l’on ajoute à cela l’adoption d'un grand nombre de standards techniques, c’est un pas que les pays de la rive sud ont du mal à franchir. Si bien que le volet politique et d’harmonisation technique n’a pas été à la hauteur de l’ambition initiale  des accords euro-méditerranéens.
Il y a ensuite la dimension régionale antérieure à l'UPM. C'est le processus de Barcelone qui est, au départ, un processus communautaire, géré par les instances communautaires. Ce processus peu doté a eu peu d'effets concrets.
Il y a finalement l'UPM avec sa gouvernance sui generis, son lancement en fanfare au milieu d'un ballet de chefs d'Etat. Une UPM d'avant le Printemps arabe. Avec ses dimensions originales : les partenariats public/ privé, les grands projets, la mobilisation des crédits de la BEI, un vrai Secrétariat permanent d'organisation internationale.
A peine l'encre du traité UPM sèche, l'Union a du inventer une nouvelle stratégie euro-méditerranéenne pour tenir compte de la donne nouvelle créée par les changements de régime au Maghreb et en Egypte. Aujourd'hui l'un des membres, la Syrie, est sous sanctions de l'Union. Les relations se sont tendues entre Israël d'un côté, la Turquie et l'Egypte de l'autre.

Le cœur vivant du système de coopération entre l'Union et la rive sud reste bilatéral.
Au plan budgétaire et commercial, les choses se jouent entre l’Union et chaque pays.
Au plan politique, sur la Libye, sur la Syrie, l'Union se félicite de retrouver une Ligue arabe rénovée, en capacité d'initiative. Un dialogue bilatéral entre l'Union et la Ligue semble bien plus productif que la mise en oeuvre des instruments politiques de l'UPM, paralysés par le principe d'unanimité.
La Commission européenne n'a pas voulu se séparer de l'architecture familière des accords bilatéraux et du processus de Barcelone, première version, au profit de ce qui a été perçu, au début, comme une invention de la France dans un moment de prurit intergouvernemental. On a donc plutôt assisté à une communautarisation et à une "bilatéralisation" de l’UPM. Faute de pouvoir travailler efficacement tous ensemble, on fait de l'UPM au cas par cas : chaque pays est prié d'élaborer des projets marqués du sceau de l'UPM. On retrouve donc la logique bilatérale.

De l'idée d'un concert des nations méditerranéennes, il ne reste rien.  La raison de cet échec par rapport à l'esquisse initiale vient de ce que les Allemands refusent, par principe, toute institution autre que les institutions européennes pour gérer les questions d'intérêt commun aux Européens, excepté l’OTAN. L’Allemagne et l’Italie ont donc, logiquement, privilégié un financement communautaire de l'UPM afin que la France (et la Turquie) ne jouent pas un rôle trop important. Il est vrai que l’Allemagne a beaucoup d’intérêts économiques en Méditerranée. Il est vrai que beaucoup d'autres Etats du Nord considèrent, qu'ils n'ont pas vocation à d’être exclus de la Méditerranée. Il n’y a pas une politique mais des politiques d’Etats vis-à-vis de la Méditerranée. Beaucoup sont anciennes et bien enracinées. Par extension, la politique méditerranéenne de l'Union ne peut pas être réservée aux Méditerranéens. C'est là une idée forte des Européens du nord et du centre de l'Europe. Ce désir rend, d’une certaine manière, hommage à la Méditerranée, considérée comme essentielle pour l’énergie, la culture, la sécurité. Il y a aussi une "affection" générale pour ces rivages que le tourisme, la littérature, le cinéma ont contribuée à développer. L’Europe dans son entier veut participer à la magie méditerranéenne. Dans le désir de communautariser l’UPM, il y a quelque chose de réaliste mais aussi quelque chose de romantique : la Méditerranée est un patrimoine commun de tous les Européens.

Q : Comment les BRIC et les Etats-Unis perçoivent l’espace méditerranéen ? Un pré-carré
européen ? Un ensemble de marchés et de pays stratégiques à conquérir
économiquement ?

Les BRICS nous démontrent que l'Union n'a jamais disposé des moyens d'une doctrine Monroe en Méditerranée et qu'il serait absurde de considérer qu'elle pourrait faire de cet espace un lac européen. Les Etats-Unis restent de loin la première puissance politique et militaire en Méditerranée. La Turquie a son propre jeu régional. Israël a beaucoup des attributs d'une puissance internationale. La Russie n'a jamais abandonné les restes de son désir d'influence. L'Egypte reprend peu à peu sa place dans une Ligue arabe rénovée. L'idée que la Méditerranée est une chasse gardée dans laquelle d'autres viendraient aujourd'hui braconner date d'avant 1945.

Que font les BRICS en Méditerranée ? - La même chose qu'ailleurs. Ils jouent, logiquement, leurs cartes de puissances globales à l'âge de la globalisation.

Le Brésil a une population d’origine méditerranéenne, proche-orientale, à l’image de toute l’Amérique Latine. Ces populations levantines jouant un rôle important, le Brésil ne se désintéresse ni du Nord ni du Sud du bassin méditerranéen. Il y reconnaît des structures sociales familières : le rôle des leaders, des hommes forts, des familles…
Dans le cadre d’une politique volontariste clairement affichée, le Brésil veut avancer ses pions face à la Chine qu’il voit comme un nouvel acteur que l’on ne peut laisser faire cavalier seul. Le Brésil suit, par ailleurs, une politique africaine dans laquelle il inclut le Maghreb.

La Chine, quant à elle, cherche à  renforcer son accès aux ressources, à créer des espaces de développement pour ses entreprises et à entretenir des soutiens au sein des institutions internationales. En parallèle, les Chinois mènent des initiatives en solo comme la construction d’infrastructures avec des travailleurs chinois, financée par des capitaux chinois et en l’absence de toute conditionnalité. La politique européenne, plus lente, disposant de moins de ressources, a bien des difficultés pour lutter contre cette concurrence qui est aussi politique qu'économique. La Méditerranée n'est pas une exception. On retrouve la même dynamique dans le Caucase, en Ukraine, en Asie centrale.

La Turquie de l'AKP propose à la Méditerranée son projet de révolution conservatrice : libération de l'économie, primat donné aux entrepreneurs, et rétablissement parallèle d'un "ordre moral" musulman dans la sphère privée. A bien des égards, aujourd'hui, le vrai soft power en Méditerranée est turc.

III- Perspectives

Q :  Sur quelles bases refonder un partenariat euro-méditerranéen ? Pensez vous que la
refondation de la relation euro-méditerranéenne doit s’effectuer prioritairement sur une base économique? Politique? Culturelle? Ou sur une autre approche?

Je suis en faveur des consolidations, des renforcements, des transitions plutôt que des refondations. A bien des égards, les Européens ont considéré l’UPM comme une réinvention de la roue. Cela a retardé le processus que l'on prétendait accélérer.
Il faut se garder, comme le disait Jospin, un droit d’inventaire. Il faut faire un audit de l’UPM et de ses projets.
Il faut aussi - et c’est vital - ajouter une dimension migratoire à l'UPM car elle représente l’attente principale des sociétés du Sud, c’est-à-dire un accès élargi au marché. Sans cette mobilité accrue pour les hommes d’affaires comme pour les jeunes, on passe à côté d’une demande très importante. La mobilité est la démonstration que les Européens sont sérieux, et qu'ils ne veulent pas seulement quelques délocalisations au sud pour perpétuer un certain cantonnement.

L'Union ne doit pas sacrifier son autonomie géopolitique. Dans la dynamique d’ensemble euro-méditerranéenne, la question de la proximité avec Israël, de la partialité des Européens à l'égard d'Israël, revient souvent comme un facteur de blocage. Les Européens seraient trop "pro-Israéliens" pour être de bons partenaires du monde arabe et majoritairement musulman de la rive sud.
C'est une vue de l'esprit. Les Israéliens eux-mêmes ont plutôt l'impression que l'Europe ne les aime pas, qu'elle ne les soutient pas. Elie Barnavi parlaient naguère d'une Europe frigide, incapable de satisfaire les Israéliens qui l'aiment.
Les Européens, qu'on le veuille ou non, ne sont ni dans l'alignement ni dans l'hostilité vis-à-vis d'Israël. Logiquement, ils développent leur propre vision, conforme à leur propre diagnostic et à leurs propres intérêts. L'écart avec les Israéliens n'est pas le même sur la question de Palestine que sur la question iranienne, par exemple.
Pour les Européens, l'Etat palestinien ne peut pas être « en miettes » s'il doit être viable. L’aide des Européens est toujours allée dans ce sens-là tant par son aide politique que dans l’application de l’Accord de Paris sur l’économie palestinienne. L’aide apportée à Gaza se situe aussi dans la perspective de créer l’infrastructure d’un Etat. Les Européens sont les seuls à insister sur ce paramètre, c’est-à-dire sur le retour à des liens fixes entre Gaza et Cisjordanie, avec une route et un corridor sécurisé.
L’UE ne bougera pas si Israël frappe le nucléaire iranien. Depuis les sanctions de 2006, la position européenne a beaucoup évolué. La politique iranienne constitue une menace contre la paix. Personne aux Nations Unies ne souhaite mettre en place une coalition, ce qui est dû à un effet de collage créant une menace pour la sécurité internationale. On est bien dans les prologues d'une ouverture du chapitre 7 et cela depuis quelques temps.

IV- Questions plus personnelles

Q : Qu’est ce que la Méditerranée pour vous ? Donnez trois mots pour la qualifier

Pour moi, trois images, plutôt que trois mots, s’imposent.
La première : c'est la promenade le soir quand il fait chaud. Cette pratique sur le bord de la mer, où l’on prend le frais. C'est une pratique que l’on rencontre partout. C’est un trait de civilisation.
La seconde c'est la culture scolaire qui a transmis tout autour du rivage les mêmes auteurs, les mêmes théorèmes, les mêmes modèles esthétiques. Sans ces millions de professeurs, souvent pauvres et déclassés aujourd'hui, les Méditerranéens auraient perdu le souvenir de leur héritage commun.
La troisième c'est l'image d’Ulysse, telle qu'elle se dessine aux premiers vers de l'Odyssée. Il y a, depuis longtemps en Méditerranée, des hommes qui cherchent, en voyageant, à rentrer chez eux mieux dotés. Vivre en Méditerranéen, vivre comme Ulysse, c'est savoir partir et repartir, pouvoir se retrouver un peu partout chez soi, et conserver envers et contre tout le goût du retour. A l’heure de la mondialisation, c’est un programme très actuel.
Bien des élites politiques l’ont vécu : l’exil est parfois nécessaire pour redéfinir un projet, pour s’extraire des pesanteurs locales et pour s’armer de valeurs plus éprouvées.

Notes
Norman J. Pounds : An historical Geography of Europe. Cambridge University Press, janvier 1990.
Pierre Beckouche : "Bilan d'Euromed : un état des lieux du financement par l'UE du développement en Méditerranée", Paris, Ipemed  Palimpsestes n°3, mai 2011
Christian Stoffaës : "Mittelstand, notre chaînon manquant", rapport au Secrétaire d'Etat aux entreprises et au commerce extérieur Hervé Novelli, 2008.
Fernand Braudel : La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II. Paris, Armand Colin, 1995 (sixième édition)


* Cet article est paru dans in Méditerranée. 30 voix pour bâtir un avenir commun, sous la direction de Agnès Levallois et Jacques Ould Aoudia, IPEMED, février2013 
http://www.ipemed.coop/adminIpemed/media/fich_articl/1362490387_IPEMED_30_Voix_Nov2012.pdf

samedi 15 septembre 2012

Communities of values or communities of project

Since the seminal work of Jacques Levy, the French political geography has made the distinction between three types of power maps: the strategic map organised by the military, the map of control organised by the Nation State and its different institutions, the map of legitimacy structured by the distribution of political parties, trade unions, churches and NGOs.
At local level, the political parties of the present are often the successors of previous political parties belonging to the same broader "political family". Successful candidates and their affiliates (family, direct friends) often play an important role in the transition between old political parties and new ones. Basically, they stay whereas the party changes or merges with another one to form a new entity. Personal loyalties and nostalgia for past political groupings have not to be under-estimated to understand the local complexity of the French socialist left or centre-right at local level. They explain partly internal divides within each party at constituency level. Yves Lacoste and his team studied, twenty years ago, the deep complexity of the French political map. Their empirical studies demonstrate - in a country where the forces structuring the political map are more frequently changing than in the US, Great Britain and Germany - a certain stability in the divide between left and right, Marxist and non Marxist left, Gaullists and Christian democrats, even if the number of activists and voters gathered by those political forces considerably vary over time.
With often a shorter life, political parties bear similarities with other institutions that structure the map of legitimacy and are considered communities of the willing : churches, major NGO and charities, trade unions or parent unions, most of them being duly represented as legitimate voices of the civil society in the Conseil Economique et Social.
The question follows: what makes parties different from other clubs and communities aiming at the improvement of society? What brings and keeps together party activists, supporters and voters, if this is not the faith of a church, the project of a charity and the advocacy of an NGO? Are political parties not out-dated organizations in the new knowledge economy dominated by easy direct access to information and expression, a world in which traditional middlemen are squeezed out in retail, culture, science? Will parties of the future not be just loose and flexible coalitions between members of more solid - or more fluid- communities: believers, interest groups, NGO affiliates and internet communities organised around a central purpose?
What does the American benchmark tell us about the future of the legitimacy map in the digital age?

1) Parties as Communities

There is little doubt that political parties play a social role and are not just tools for their leaders to access to legislative or executive mandates. One could argue that political parties can be also be considered "societies", "communities", even if ephemeral.
a) Parties as communities of candidates and activists - Political parties contribute to the social capital of their candidates as much as they happen to build upon it. At a different and almost separate level - they also contribute to the social capital of their regular or occasional activists. In regular party meetings at constituency level, during local or national campaigns, party activists meet fellow activists. They create between them all sort of informal links that may affect their economic, social and personal life. In many places, established parties also function as economic networks of elected, candidates and militants. They may offer jobs or facilitate access to jobs in the public sector or the party apparatus. Being member of a party is even, in some places, a way to gain easier access to public procurements. Parties contribute to education, training and selection for public functions. They act as editors and producers of contents for the media. As social institutions, they bear some similarities with churches, trade unions and large NGOs.
The recruitment of new party members often demonstrates the social nature of party building process rather than the mere attraction of slogans on values. Groups of friends, work colleagues, members of the same trade union, student association or ONG often rejoin party together. To fully understand the behaviour and political potential of party activists (what input in programmes, what impact on voters) it clearly appears to researchers in America that one has to understand better the connections between activists and their immediate social sphere[1].
The US experience also seems to show a rebound of interest for political parties through a new type of grass-root approach that the internet permits. New types of activists with new expectations appear and may bring a new sense of community in the realm of party politics. One may argue that the traditional networking function of parties is to some extend kept even by so-called minute parties or ephemeral coalitions between digital activists built from the internet. Interaction between ephemeral activists is namely increased as they share information, agendas, contact details during the period of "net-root campaigning" that are organized by the parties or its support groups[2].

b) Parties as "communities" between voters - To what extend can political parties be considered as larger communities of voters, affiliates, friends beyond the core group of activists and candidates? In a functionalist approach, voters that end up voting for a specific party have some common interests, be it economic or symbolic. The victory of the party means that they may benefit from a more benign legislation or a more generous taxation system. They may also get themselves a better recognition in society as a result of the election. This positive result is to be achieved by a mix of economic, social and symbolic measures. Seeing the newly elected executive leaders defending publicly one's own values or beliefs or being able to identify with them may have as much importance as seeing one's immediate economic interests being taken care of. The functionalist approach explains some stability in voting according to social groups and their respective lasting interests.
If one follows the French sociologist Raymond Boudon[3], some kind of looser rational community is being built around partisan proposals and projects put forward by party candidates, with voters gathering around the more credible project and the most coherent set of principles (sometimes at the expense of their own interests). The way in which candidates propose to address issues and challenges may be as significant to attract voters as specific promises. When voters associated themselves with a party programme on the basis of rationality, they usually promote it within their own social network, they celebrate the victory of the party as a victory of their own and they will share worries for the future with fellow voters if the party is defeated. A loose feeling of reciprocity and togetherness is created between people likely to vote for the same candidates.
But beyond habit and that kind of affectio societatis that goes with the sense of community -a sense of community stronger in partisan core groups - what does link party candidates, activists and voters together? - Symbols, leaders, party rules, party narrative and proposals, of course.
But what do they stand for? What do they try to service, represent and incarnate? - Values or projects? What is behind the dynamics of partisan (self)- inclusion or (self)- exclusion ? What does one expect or refuse to share when he joins or quit a political party?

What brings people together: project or values?

Two traditional visions seem to have contrasted in post-World War II Europe.
 For the parties inspired by the Leninist tradition, affiliation has to build around a common revolutionary project. The project is to destabilize the bourgeois regimes and destroy the State in order to establish a new socialist order. Those that refuse the dialectics and discipline of revolution under a central command have nothing to do in the party. This is the iron rule made explicit for instance by Jean-Paul Sartre in Les Mains sales. The party exist only to service the revolutionary project and acts in a completely tactic and opportunist way when it comes to making alliances and joining forces in other to win at the end. "No one cares if the cat is black or white when it catches mice".
For the parties inspired by the Christian democrat thinking, affiliation has on the contrary to build around a common set of values derived from the Tradition, the social doctrine of the Church, modern philosophy and the interpretation of recent history.
In the two cases, the party is responsible for a narrative of society and history. This narrative also has something to say about the fate and the role of the individual (and of the social class they belong to). This broader narrative constitutes the basis of the "party doctrine". In the two cases, more than in traditional values, activists and supporters are invited to approve and share the broad narrative provided by the party as well as the party doctrine on organization, actions and purposes that results from it.
Leaders on those two sides of the political spectrum are usually eager to criticize the short-termism, the lack of ideological back-bone of the other parties - liberals, social-democrats, peasant parties - that are, according to them, just trying to provide a political offer that would capture to a large (unexploited) political demand. They are also critical of other political contexts where ideological salience is weaker and parties mainly represent traditional affiliates and interest groups. This has often been the continental perception of the American party system.
The French philosopher Georges Lavau[4] has tried to deconstruct this opposition between parties of project and parties of values, and tried to investigate further what defines a political party in continental Europe.

a) Partisan pride?
Surprisingly, both Christian democrats and Marxists, as well as for many trade unionists with a ideological tradition going back to anarchism, consider the political party a necessity, an instrument, and even a difficult one. For Marxists the purpose of the party is to end the party system of the bourgeois regime. For the Christian democrats in the tradition of Mounier, the party will always remain inadequate to adjust to the prophetic dimension, the assertion of absolute values that is, for Mounier, the necessary complement of any political action based on ethics. More important that engaging in party politics is to give a testimony for Truth, in a complete refusal of any kind of relativism[5].
This may be why a larger number of people with strong values (socialist, humanistic, Christian, environmental...) finally engaged in NGOs, trade-unions, leagues or ad-hoc movements rather than in political parties, with the expectation of "doing something else" that the "usual political parties". If they finally accept to engage in party politics, people with values are likely to put stronger emphasis on the function of the party as a tribune from which to address the public opinion. They may also prefer smaller parties unlikely to be the core of successful coalition but in which they will find more likely people sharing very similar views.

b) Partisan values and doctrine?
Unless in very rare cases (pure clandestine revolutionary party, very small ideological party functioning as an ad-hoc league), the doctrine usually does not over-determine party action, positioning and recruitment. In many cases, doctrine is not even produced within the party and does have to be: "A party cannot be only ideological, and even less only based on doctrine.  It has to smoothen a doctrine that its takes and accepts and takes as compass. One may wish the party to have links with an ideological research centre, but there is no gain for the party to institutionalize those links and to consider them as organic. The party should certainly have training classes and should devote itself to internal debates about doctrine. But I do believe it can have very high ambitions in this field.... Creating a doctrine is largely a work of its own that requires a solitary work and a little "dis-engagement" from daily political fight...One requires party leaders to understand a doctrine, to explain it to the activists, to abstain from arrogance and cynicism when they work with people in charge of doctrine, but above all to be creative, to suggest, based on intuition and political experience, constant adjustments and renovation"[6]
The compass role played by a doctrine - this large social, historical, geopolitical narrative that is familiar to leaders, activists and voters of a political party - differs from the prophetic assertion of absolute values that Mounier advocated for as the necessary complement of political action. The doctrine provides useful "reading keys" to perform the first role of a party in an open democracy that is to inform the public opinion. The narrative, the doctrine of the party provides a kind of meta-text to those that take the floor in the name of the party. It contributes to create a branding, a political identity.
Reference to values is only a part of the doctrine borrowed by a party from philosophers, think-tanks, spin doctors... It serves as a narrative basis for the production of declarations, stories, papers, pamphlets, tweets... of party leaders. Parties with marxist roots also use a "doctrine of action", a "praxis", to help justifying their methods, their structures and their internal rules, even if it is largely demonstrated that those methods, rules and structures often owe more to power struggle and compromises between the leaders within the party that to any kind of outside rationality.
In America, competition between party leaders (in articulation with constitutional and institutional opportunities and constraints), much more than values, rational choice between projects or any doctrine of action, appear to define first party rules and then the choice that party elites present to the electorate and the incentives that they will have benefit from if they follow through on their campaign promises once in offices[7].
One may even wonder if the digital age has not brought about the end of a centralized and unique party doctrine as well as it has reduced the impact of central party communication by authorized spokespersons. The reality seems to be much more decentralized: activists, bloggers close to a important party, may be building their own stories, pamphlets and tweets based on different doctrines available between which they do cherry-picking. A constant interactive co-production of both doctrine and information contents towards the public opinion between legitimate leaders and efficient digital activists close to the party appears to be a sort of new modus operandi been shaped.

c) Candidates and project to win the elections!
Beyond the first task of political party that is to contribute to the information of the public opinion, the second task is clearly to win the elections and to size power or a share of power. Ahead of elections people are not interested less interested in doctrine and values behind doctrine than in proposals and projects: "Ahead of elections, one has to propose things simple, timely and workable. One has to propose them without hatred, in a reasonable way, without no fear to go into details about implementation: because voters are not fool and wish to know how one will do"[8]
The rationality of the party project is even more necessary as parties have to do with very heterogeneous voters. Parties cannot rely anymore on the automatic support from certain constituencies (those with many industry workers for instance that used to vote for the Left). The election is not a period to express doctrine or develop a narrative. It is a match between competitors. Voters first expect their challenger... to win. This basic fact commands to build support of vary different kinds of opinion leaders and supporters that do not necessarily share the same values or the same narrative on history and society. It commands to build alliances and to accept compromises. It commands to leave a large margin of manoeuvre to the work of coalition building carried out by party candidates at every level.
According to Mark Brewer, parties in America have one fundamental goal and that is not to "assert values". It is the construction of a coalition that enables them to win the elections[9]. Social groups (less affluent/more affluent, blacks/ whites, big cities dweller/small towns) as well as religious blocs (low level of religious salience/high level of religious salience, Catholics/Evangelicals) are full-fledged targets in this process but they are not the cradle of party politics. Coalition building around a candidate, its project and its supporter retains high levels of risk and uncertainty.
A partisan project differs nonetheless from a catch-all patchwork dictated by the rules of political marketing. The mere juxtaposition of promises aiming at different opinion clusters usually lacks credibility because it lacks coherence. In countries used to the huge influence of lobbies, churches or interest groups, the defence of a common and coherent project seems to have a real value added.
McFarland's concept of "neopluralism" explains the mobilizing of political "countervailing groups" - old and new political parties - in reaction to the advocacy of policy networks, lobbying coalitions, patrons, social and religious movements, more than by share values. The defence of common interest and even the defence public space against the constant threat of regulatory capture by private or community interests would be one of the reasons for the citizens' engagement and participation. Being against the capture of the common norm by ideology movement (be they green, feminist, pro-life, libertarian or gender neutral) or faith based groups is a powerful driver for the re-emergence of a pluralistic political resistance[10].
In the service of a common project for all, inconsistencies on praxis and project are more difficult to overcome than divergences on values, doctrine or overall narrative. Isolationists and interventionists cannot easily work together on a common project. People in favour of redistribution through targeted taxation and people against tax increases cannot easily work together. Europhobes and European federalists may have a difficult time in bringing about a common project. Difficulties and inconsistencies are usually more benign between people with different views on family, marriage, religion that can nonetheless work efficiently together on other issues and present a credible common project in which means and processes can be consistent with objectives and promises.

In a new geography where centralized command in doctrine, organization, campaigning is more an more difficult to achieve, it may be surprising to see political parties to try to mobilize voters and new activists around values, either traditional (religious or patriotic values) or "new" less dividing values (engagement, responsibility...) rather than around rational projects or contractual relations with voters based on a contract.
Will this strategy be successful? One may wonder.
 Is coalition building not easier when room of manoeuvre is a left to candidates and when programmes are not too heavily pre-determined by values or a general narrative that may bring together - mainly for sociological reasons - activists potentially able to enjoy a communion of belief, but likely to at trouble to put together and defend a project that will convince at the end a silent, heterogeneous and demanding majority.


[1] Walter J. Stone, "Activitsts, Influence and Representation in American Elections",  in Sandy Maisel, Jeffrey Berry, Americain Political Parties and Interest Groups, Oxford : OUP, 2010, p. 285-302
[2] See Daniel Shea, John Green (eds), Fountain of Youth, Strategies and Tactics for Mobilizing America's young voters, Lanham : Rowmann and Littlefield, 2007
[3] The author of The Origin of Values describes the need for rationality of citizens able to abstract themselves from their immediate interests and able to make a rational choice for the seemingly more coherent policy proposals in an electoral competition. See Raymond Boudon, Retrouver les principes fondamentaux de la Démocratie, Paris, Fondapol, 2007
[4] Georges E; Lavau, "Définition du parti politique", in Esprit....p 42-75
[5] Emmanuel Mounier, Le Personnalisme, ....
[6] Georges Lavau, op. cit; , p.61
[7] John Aldrich and Jeffey Grynaski, "Theories of Parties", in  Sandy Maisel, Jeffry Beery, The Oxford Handbook of American Political Parties and Interest Groups, Oxford : Oxford University Press, 2010
 See also the classical book of  John Aldrich, Why parties ? Chicago : Chicago University Press, 1995.
[8] Georges Lavau, op.cit., p. 61
[9] Mark Brewer, The Dynamics of American Political Parties, New-York : Cambridge University Press, 2009
[10] Gerald Macfarland, Neopluralism, Lawrence: University Press of Kansas, 2004